La Légende de « Nuit de Lune »
Nous sommes, en cet instant, en terres de légendes. C’est un monde merveilleux où pourtant déjà, s’affrontent sans pitié, des forces que l’ont dit « naturelles ». Le Bien, le Mal, n’existent pas encore mais les êtres sur cette terre déjà se combattent…
Souvenez-vous ! Merlin, Morgan, Mordred, le petit peuple et le Dragon, la Dame du Lac aussi… et Arthur et Guenièvre et tant d’humbles ou de preux, qu’importe ! Sur leurs chairs putréfiées, pèse désormais d’un poids égal la terre qui les recouvre anonymement.
En ces temps troublés, Morgane cherchait à armer son fils. En tissant la toile du probable, elle devinât qu’un troll des montagnes du Nord disposait d’un trésor à nul autre pareil : des armes enchantées, des armures maléfiques, de quoi équiper une armée. Cette armée qu’elle appelait de ses vœux pour reprendre le trône qui revenait à Mordred.
Elle fit ce qu’elle estimait juste et ce que savait faire les sorcières d’alors. Elle s’empara ainsi de l’animal trésor et choisit pour Mordred une arme étrange qui chantait en dansant son macabre ballet. Il lui semblait qu’une telle arme enchanterait son fils et serait le pendant de cette Excalibur dont Arthur se paraît.
Mordred grandit avec cette arme étrange qui ne semblait prendre pleinement vie que lorsque la lune brillante, s’élevait haute et pleine dans les cieux étoilés. Toutefois, il ne parvint jamais vraiment à la considérer comme sienne ; l’arme était de caractère et c’était un homme qui ne tolérait pas la moindre contrariété. Malgré les avertissements de sa mère, qui savait par magie de quoi cette arme était capable, c’est avec sa lance qu’il tenta de porter, à son père, le dernier coup fatal…
On sait ce qu’il advînt de Mordred et d’Arthur et même de Merlin ou Morgan, mais de l’acier anonyme souillé du sang des braves, seule la terre peut-être retînt, comme le goût amer.
Le temps passa et les brumes sur les lieux de la bataille bien des fois , revinrent recouvrir les pitoyables vestiges de cet indécent affrontement. La magie peu à peu s’étiola avec l’exil lent et inexorable d’Avalon. Les enchanteurs n’étaient plus, un Dieu unique s’imposa. Alors, la forêt repoussa, les animaux revinrent et avec cette vie qui reprenait ses droits réapparut l’homme qui s’approprie et règne sans partage.
Un bûcheron sans maître, homme frustre mais puissant physiquement, inconscient du lieu qu’il profanait de son insondable ignorance, en abattant un aulne aux proportions étonnantes, fit cette étrange trouvaille : une drôle de lame avec un manche presque sans garde et de curieux motifs damasquinés sur une seule face. De mémoire, il pensa à ces épées dont les vieux parlent le soir auprès du feu quand le froid vous saisit aux épaules et que l’homme aime à trouver le réconfort dans la proximité de ses semblables. Rien ne le menaçait, même pas les ours et certainement pas les loups dont il aurait aisément broyé les os d’un coup de son merlin. Mais l’épée, trop longtemps oubliée, avait besoin d’un maître. Elle avait soif de sang comme un démon a soif de malices.
Celui-ci ou un autre qu’importe quand on a faim ou soif, on ne fait pas le difficile. Le bûcheron mit l’arme dans son bagage et l’oublia un peu. L’hiver venu il arriva dans un village du Kent où il avait ses habitudes et une femme qui l’attendait.
Là, le destin le rattrapa sous les traits d’un amant qu’il trouva dans la couche qu’il estimait comme sienne. La colère le saisit, et la mémoire lui revint de cette épée qu’il avait dans son sac. Une idée lui traversa l’esprit, fugace, comme il n’aurait jamais dû en avoir. Etait-elle de lui cette idée ? Ou l’épée assoiffée s’était-elle rappelé à lui sous cette forme. Passe encore de massacrer son rival honnêtement d’un coup de hache ! La populace ivre de colère et de mauvaise bière ne lui pardonna pas de s’être pris pour un chevalier en estoquant ainsi le jeune homme et la femme. L’épée chanta et dansa un court instant avant que ne tombe le bûcheron pris de folie, sous un mauvais coup de fourche dans le dos…
L’histoire est parfois cruelle… Le jeune homme mourut… il fût porté en bière dans l ‘église et une main innocente posa à côté de lui l’épée encore ruisselante de sang comme si ce geste pouvait atténuer la peine de la victime. Une vieille veilla le corps du jeune homme à la lueur de mauvaises bougies. La nuit passa comme passent les nuits d’automne, froide, longue et peuplée de chimères… Or, tandis que le jour commençait à poindre derrière les collines boisées loin vers l’Est, survint un événement qui allait changer le cours de bien des destins…
Un râle rauque tout soudain s’éleva du cercueil comme une délivrance particulièrement difficile. Le jeune homme fraîchement trucidé s’éveilla d’un cauchemar totalement douloureux. Il avait été tué, il était mort et maintenant une vieille hurlait en le voyant se redresser… Ses cris d’orfraie résonnaient dans l’église qui trônait au milieu du pauvre village.
Le jeune homme avait pour nom Salaman comme son père, et le père de son père et sans doute bien d’autres avant lui. Il vit son malheur dans le visage horrifié de la vieille, il vit sa condamnation dans les signes de croix du prêtre qui accourrait, il entendit dehors l’attroupement qui se formait et se rappela le lynchage de celui qui l’avait tué et l’éclair de folie meurtrière qui animait les yeux de son meurtrier… Il vit l’épée posée entre ses jambes dans le cercueil, cette arme qui ne voulait pas être de nouveau oubliée, cette arme qui l’avait peut-être ramené d’entre les morts… Il prit l’épée et courut loin, très loin. Il traversa la petite mer et disparut de Bretagne pour… toujours.
…
« - La suite des événements est plus floue, votre Eminence. La femme dit que l’homme a gémi et puis s’est animé, sans doute mû par un démon. Il a fait grand carnage des braves gens qui accourraient, craignant un drame et puis s’est enfui avec un hurlement, on aurait dit un leu ! »
…
Salaman vécut par le fer. Il devint un grand guerrier et vécut de nombreuses vies d’homme, sans jamais comprendre ce qui lui arrivait. Ce n’était pas un brave mais il allait l’âme tranquille et la mort ne lui était pas un problème, surtout celle des autres. La mort des autres lui faisait du bien et son épée était toujours à ses côtés comme un… talisman ! Il allait de combat en combat, d’escarmouches en batailles… Parfois, il se sentait attiré vers un de ses semblables et le tuait en combat singulier. A chacun de ces combats, il devenait plus fort. Le jeune homme devînt un vieux guerrier sans pour autant que son corps évolue, les blessures disparaissaient, les douleurs s’évanouissaient, comme le plaisir qu’il ne trouvait plus guère quelque soient les bras qui s’ouvraient tendrement à ses étreintes viriles.
Les chefs de clan devinrent des seigneurs, les seigneurs devinrent des Ducs et les Ducs accouchèrent d’un Empereur, Charles le Magne. Charles fit de Salaman l’un de ses ambactes, c’était un grand honneur pour un homme sans origines. Charles était intrigué par l’épée plus que par le guerrier, l’épée le fascinait. Il ne se lassait pas du son de ses évolutions lorsqu’il faisait bataille et que le sol rougissait du sang ennemi.
Un soir de beuverie Salaman le jeune raconta sa vie, sa légende, à la fratrie guerrière aussi avinée que lui, qui ne le crût point. Comment auraient-ils pu ? Par dérision pour ce hâbleur, par respect pour ce beau conteur, Roland le railla en le surnommant Salaman l’Ancêtre, et ce surnom lui resta.
Mais Charles le Magne avait dans le regard une lueur d’envie. Il était Empereur, l’ami d’un pape qui lui avait révélé certains secrets. Lui, l’Empereur ne vivrait jamais autant que son féal Salaman. A moins que, peut-être si l’épée devenait sienne… L’épée… L ‘EPEE ! Le secret devait être dans l’épée. Mais le prêtre l’avait prévenu : l’épée était maudite… et son chant était si beau, particulièrement à la pleine lune. Comme le sont les promesses des diables… !
Une autre épée autrefois avait fasciné un homme. Cette autre épée qui avait fait perdre la tête et la vie et son royaume à Arthur : Excalibur ! Quel rapport pouvait-il y avoir ? Pourquoi pensait-il à Excalibur, lui, l’Empereur chrestien, en admirant cet épée d’un autre âge ?
Les songes d’un Empereur sont-ils inspirés ? Une nuit, un rêve vint , qui resta au matin dans les limbes du conscient. A l’entraînement du matin, il s’approcha de Salaman à la quintaine et sans trop savoir pourquoi abruptement, lui dit : Ton épée a un nom, elle s’appelle Nuit de Lune ! Salaman hésita devant la soudaineté de la remarque mais l’épée à son bras manifesta sa satisfaction ! La frappe fut telle que l’épée chanta en plein jour et la quintaine fracturée, vola au sol… en deux morceaux !
La suite et la morale de cette histoire ? C’est dans une autre légende qu’il vous faudra chercher ! Rares sont ceux qui s’y sont aventurés… Vous voilà prévenus, les suivants s’il en reste sauront exactement pourquoi risquer ainsi d’y perdre vie et âme !
Bribes de souvenirs fugaces…
Bleus, gris, un peu de vert, la mer est toute de nuances dans la brume maritime. Le soleil matinal joue les chefs d’orchestre dans ce joyeux camaïeu de chatoiements. Chahuteux reflets qui offusquent les paresseuses ondulations de la Grande Bleue, à quelques pieds de là, sous ma cachette en canopée.
Au lointain, l’écharpe laiteuse d’un paresseux stratus s’enroule sans entrain sur une crête de porphyre rouge au sommet de l’Esterel. L’air est déjà doux dans une journée qui sera torride.
Midi, un marin passe non loin, en goguette, sa catin à la main, nul ne me vit. Blotti au plus haut dans un pin maritime, non loin du Cap, juste en deça du sentier douanier ; l’entrelacs des bras rugueux de cet arbre plusieurs fois centenaire me fait un repaire idéal. Ombre et fournaise, reflets et souvenirs, j’essaie d’appréhender les dernières 48h, l’embuscade près de Bargemon, la fuite, le grand incendie et cette maléfique présence, la certitude de Daï Bakemono que c’était moi la cible, alors pourquoi les massacres de paysans, pourquoi les pillages ? Je n’ai rattrapé et exécuté que quelques séides, je n’ai pas peur, pourquoi ai-je fuit finalement ? J’étais maître du terrain. Maître, mais impuissant devant le feu. Ma mémoire erre un instant, aux souvenirs lointains d’un passé échappé. La menace est toujours là, non loin, à trépigner de rage dans les volutes épais du Grand Incendie. Qui est-il ? Pourquoi moi et pas Daï ? Comment nous a-t’il repéré ? Une fois de plus tel le roseau, je vais fuir et quitter ce pays qui n’est plus mien pour quelque temps. J’entends le marin conter sa vie à sa mie, il va partir sur le Bellérophon pour les Confins, en Extrême Orient. Parfait, j’en serai.
Quelques Solstices plus tard
Récit du combat entre NOIR SOLITAIRE et les jumeaux EARTHFIRE
Bourg de Saint Michel, roche saturnales.
De ces deux-là, rien ne subsiste plus ! C’est étrange ! Même dans le gave impétueux de ma mémoire, là où d‘ordinaire les souvenirs se bousculent en un formidable flot , rien ne semble plus vouloir émerger de ce passé, pas si lointain que cela. Pourtant, je sais que je dois y aller ! C’est le moment ! Une fois de plus, je vais me rendre là où sont tombés les frères Earthfire ! A l’endroit où ils n’auraient jamais dû me convoquer…
Je monte lentement une sente minuscule. Elle s’enroule le long de la roche en épousant ses formes érodées. Elle permet ainsi presque tendrement de se hisser sans peine tout en haut de la plus haute des « Dames ». De la main gauche, machinalement, je caresse la pierre si particulière sans avoir besoin de jamais m’appuyer malgré le dénivelé. Inutile de me hâter, rien ne se passera avant que le soleil du Solstice ne jette paresseusement ses derniers rayons sur le calcaire fatigué de cette très vieille roche. En bas, dans la proche vallée, la Meuse langoureuse aux méandres calmes semble disparaître dans la douce torpeur des ombres qui s’allongent… La vieille cité dédiée à St Michel s’endort comme elle vit à l’ordinaire : dans les volutes légers, d’une brume paisible qui se répand paresseusement dans les ruelles étroites.
… Pourquoi dois-je revivre régulièrement cette scène ? Qui étaient-ils donc pour que les éléments leur accordent un tel écart avec les lois de notre survie ? Dans un instant, d’abord je sentirai la roche vibrer légèrement ; puis, je tendrai Nuit de lune vers le ciel et recevrai une légère accélération, à nulle autre pareille, comme des bulles de champagne, quand elles semblent se hâter, mais avec lenteur, vers la surface du breuvage… C’est un sentiment trouble ! D’ordinaire l’accélération est violente, presque douloureuse, comme la mort physique que j’ai tant de fois ressentie. Là, il s’agit d’une sorte de caresse, d’un souffle bénéfique qui fait chatoyer tout mon être. Rien ne me semble comparable… Sauf peut-être, le bien-être que l’on ressent, parfois, quand, gavé de fruits et de soleil, on parvient à s’endormir vraiment face au large sur une plage des Tropiques…
Mais d’abord me souvenir…
« Insignifiants », c’est le qualificatif le plus pertinent qui convienne pour me les remémorer lors de notre rencontre. Je ne les avais d’ailleurs même pas clairement identifiés. Ils venaient de s’asseoir à la table juste à côté. Quand leur regard a croisé le mien qui errait, tranquille sur la tablée voisine, un groupe de militaires du 151° R.I, j’ai su que le soir même je devrais combattre. Sans émotion particulière, cette évidence s’est imposée. Je n’étais même pas étonné… On aurait dit 2 adolescents qui s’apprêtent à faire une bêtise. Dommage, la soirée était agréable en ce début d’été. J’étais venu là pour boire un vin de Moselle et regarder le soleil se coucher tranquillement sur ce fleuve, endormeur et doux.
J’ai haussé les épaules quand ils sont montés et je les ai suivis. Quelle dérision ! Choisir de mourir un tel jour, un tel endroit.
…
Le souvenir de ce combat déferle soudain en moi ! Comme un flot tumultueux trop longtemps contenu… Deux, ils étaient deux et bien que jeunes, l’expérience m’a appris, parfois cruellement, à ne jamais mépriser l’adversaire. Leurs épées étaient vulgaires, presque neuves, je n’avais nul goût à en tâter le fil. De toute manière, je n’avais pas le choix, ils manoeuvraient pour se placer de chaque côté. Mais l’étroitesse du lieu me permettait de parer aisément ce genre de manœuvre. Par contre pour placer une frappe au cou en franchissant deux lames, juvéniles mais déterminées… ? Heureusement, ils étaient lents, de cette lenteur laborieuse acquise dans les salles d’armes occidentales à croiser le fer contre des veaux ! L’attaque, leur attaque est partie simultanément : banderille flanc depuis un chemin vertical à parer en quinte à deux mains. C’est venu tout seul… Un pas en avant accroupi légèrement désaxé en dextre, au lieu de parer j’ai frappé une glotte offerte à ma droite presque avec ma garde… Les corps me dépassent, emportés par leur élan, je me redresse, tourbillon l’autre tête roule, il n’a pas dû comprendre ce qui lui arrivait ni voir son frère tomber à ses côtés… Le temps s’est arrêté ! Tout était figé ! Pourquoi ? Pourquoi l’accélération n’est-elle pas arrivée ? Les corps au sol, de mes deux adversaires ont paru d’abord onduler, puis vibrer très doucement et je les ai vu disparaître comme absorbés par la roche…
… Longtemps … Très longtemps après ces événements … Plusieurs vies plus tard et plusieurs combats aussi …
L’homme est… rugueux ! Mal rasé, fatigué, pauvre mais fier de son travail. C’est un paysan qui, de par son âge, n’a pas été mobilisé pour cette guerre dont on dit qu’elle fut la 1° Mondiale. Ses fils, peut-être, sont au front ? Il regarde entrer les 2 militaires, un officier et son ordonnance, avec cet air las de ceux qui ont tout donné dans une trop longue journée de travail. L’officier a l’air sévère d’un … officier dont l’armée est en guerre. L’ordonnance calme mais servile, dégage la chaise que le paysan a montré d’un geste d’invite de la tête.
L’officier questionne un peu… l’homme répond calmement en dodelinant de la tête. Mais l’interrogatoire prend soudain une tournure inattendue… On voit le paysan se redresser sur sa chaise et son regard retrouver de la vigueur. De son côté, l’Officier se raidit et fait signe à son ordonnance de bien tout noter…
« - Ah ça pour sûr, Monsieur l’Officier, vous l’avez manqué ! L’homme en noir est bien venu… hier soir, le Solstice c’était hier ! ma grand-mère m’avait annoncé sa venue mais je ne savais pas en quelle année, il viendrait… Il est apparu vers 22h00 juste après ma dernière visite aux bêtes, le soleil se couchait derrière les saules là-bas, l’ombre était presque à l’abreuvoir de droite… Même que tout était orange avec ce soleil rasant, surtout les Roches. Les « Dames » avaient mis leurs beaux atours, elles devaient s’douter d’quelque chose… J’ai été un peu surpris quand il a posé sa main gantée sur mon épaule, mais guère plus qu’ça en fait. On aurait cru qu’il était… sorti de l’ombre. L’a rien dit, j’lui ai ouvert la porte de derrière et il est monté.
On a beau savoir qu’il viendra et c’qui va s’passer mais ça vous secoue quand même… Il y a eu des éclairs, mais sans tonnerre, pourtant le ciel était clair ? En même temps, le haut des Dames qui était encore éclairé par l’soleil est devenu tout rouge, presque brillant. On l’a vu qui tournait lentement sur lui même à quelqu’centimètres du bord, c’est pas prudent, avec sa grande épée pointée vers le ciel. Ça a pas duré… pas très longtemps, et puis le rouge s’est assombri et tout est devenu sombre, très sombre, presque noir, mais y’faisait pas nuit j’vous jure. Il a disparu. J’ai eu comme un frisson !
- … et alors ?
- Ben, j’crois bien qu’il savait que vous viendriez. Parce qu’il est réapparu aussitôt après à la porte. Il m’a tendu cette pièce et il m’a dit : « Tu lui donneras ! ». J’crois que c’est pour vous ! De toutes façons, je peux pas la garder, c’est pas une pièce de notre gouvernement !
L’homme tend alors à l’Officier, une grosse pièce en or. Sur la face, il y a l’effigie de Napoléon III avec sa barbiche, une belle pièce comme on en frappait au siècle passé… L’Officier hausse le sourcil, il ne comprend pas.
La solution est effectivement de l’autre côté. Il y a une inscription à la place de la valeur nominale « Donec Moveantur ».
L’Officier a compris ! Il regarde le paysan d’un air mauvais, puis soudain presque sans raison lui sourit !
- Tiens ! dit-il en lui tendant une autre pièce, une vraie cette fois, « tu l’as bien méritée ! Quand il reviendra… ? Dis à ton fils ainé…de lui transmettre ceci : « Hugues Dorian de Yesterlak y sera ! ».
...combat privé daté du Solstice d’été 1992… en présence de plusieurs Chevaliers des Ducs de Bar.
SOUS LE REGARD DE CORTO…
Le Centre Pompidou… un après-midi bien calme fin du XXème… Exposition sur la Bd… 9ème Art… 9ème sous-sol !
Soudain au détour d’une galerie, mon œil accroche une aquarelle… Il a suffi du regard énigmatique d’un marin de dessin et celui, narquois, de son inquiétant compagnon ! Me voici comme happé par les souvenirs… 1919, terrible période ! Excellente année pour la mort par contre !
Me voilà bousculé en cet instant de si rare et tranquille oisiveté dans lequel je dérivais insouciant… pour une fois !
Pratt ! Fieffé rêveur, sacré menteur ! Maudit bavard mais bon baroudeur ! Je t’ai connu, tu m’as ignoré ! Toutes tes histoires n’y pourront rien changer, mais l’amiral Kolchak, son or, le train blindé et le baron Von Ungern Sternberg ont existé, pas comme tu les as contés…
Gare aux souvenirs ! D’abord, le Froid ! Omniprésent, il s’infiltre partout. Même dans les méandres étroits de ma mémoire. L’air est sibérien dans cette immense plaine blanche de Mongolie. Je n’en avais cure alors ! Et pourtant, je puis encore en sentir comme la terrible morsure. J’y étais ! J’ai toujours eu un penchant pour les causes perdues… et la folie ! Celle du Baron Ungern valait elle mieux que celle du Téméraire en 1477 ? je ne sais, mais j’étais presque heureux au sein de son unité de cavalerie…
Avec le Froid, il y a le train blindé, la petite bourgade qui ploie sous une croûte de glace et les odeurs rances des tripots, les écuries et nos quartiers enfumés. Nombre des miens festoyaient ce soir-là pour oublier, comme chaque soir, l’angoisse des batailles à venir. Moi, j’étais « de permanence de matin» et j’arpentais silencieux avec deux ordonnances dans mon ombre, l’unique quai de la piteuse gare dans une ronde, plutôt symbolique.
Nuit de Lune était dans son fourreau, portée à l’épaule droite, bien au chaud sous l’épaisse fourrure que je ne quittais guère. J’avais bien senti les jours précédents comme une présence lointaine qui se rapprochait… Il y avait aussi les rumeurs de l’avancée des Rouges, deux divisions venaient à notre rencontre, quel honneur ! En montant sur le bastingage de canonnière, j’ai perçu l’aube incertaine qui pointait dans le lointain grisé sur la bordure montagneuse, vers l’Est ; et en même temps, dans mon dos, j’ai cru le sentir tout proche. J’ai sursauté et Piotr en a dégainé son arme de service tous les sens en alerte.
« C’est bon, ce n’est rien ! Juste une vieille douleur qui se réveille de temps en temps ! Allez vous reposer, je vais rester ici encore un peu pour réfléchir et fumer une pipe ».
Ils se sont éloignés, reconnaissants, sans se douter que nous ne nous verrions plus. Demain au rapport, Ungern aura perdu un officier, un de plus mais dans mon cas, ce ne sera pas une trahison. Après-demain, ils seront tous morts… au combat ou exécutés ! Mais je ne le savais pas alors. Qu’en bien même ? Qu’aurai-je pu y faire ? A chacun son destin ! Le mien est de survivre, or celui qui arrivait était un monstre !
Il vient… Il est avec les Rouges, il progresse rapidement dans notre direction. Je le sens, puissant, pesant, velu, le bras et le pas déterminés. Je l’ai déjà connu, en un autre temps, un autre lieu… Il était là à Parthenay quand d’Eurygies, j’ai dû prendre la force. C’est lui, il se fait appeler le Rédempteur désormais ! Et face à cette masse de cruauté, de certitudes absconses, je n’existe quasiment pas. Mais il est inutile de tenter de fuir, il me recherche et me rejoindra. Je vais donner une chance au Baron en privant, peut-être, les Rouges, de ce combattant terrible.
Vous ai-je parlé du train blindé ? Je sais bien que non. Que vient-il faire dans cette histoire ? C’est la pièce maîtresse, il en est le pivot, c’est lui qui m’a inspiré !
Merveilleuse machine de destruction que ce train, insensible à toute émotion… comme le Rédempteur !
Puissant et pesant, au pas cadencé, à la course lente mais inexorable et pourtant terriblement prévisible… comme le Rédempteur !
Devant, derrière, à côté, tout autour et même loin autour, lorsque d’un ordre, nous déclenchions le feu, tout n’était plus que désolation mais certains en réchappaient… On peut échapper à la mort si on réfléchit…
Les rails, voilà la faiblesse du train ! Il a besoin des rails pour le conduire à sa proie. Et si le rail disparaît le train n’est plus rien qu’une masse de métal inutile…
Quelle est la force du Rédempteur ? Cela même qui fait sa puissance depuis des siècles ! Il nous perçoit, il nous repère de très loin grâce à un don mental particulier tellement plus puissant que le mien mais de même nature !
Merlin… Oui vous avez bien lu ! Merlin l’Enchanteur, aurait dit un jour, ou peut-être une nuit, à l’un de ses élèves : « si la Magie te devient béquille, jette là ! »… Moi, j’ai vu le Rédempteur combattre ! Je l’ai vu combattre et j’ai survécu. Il a tué Ken Yoko à Parthenay et par bravade il l’a tué en combattant… les yeux fermés ! Demain, je tirerai parti peut être, de cette force, demain je le priverai de sa béquille…
Et maintenant courir ! Courir, vers mon destin, courir des heures durant dans le Grand Froid, dans la steppe, courir pour redevenir un animal, celui que j’étais autrefois ! Et oublier, aussi ! Oublier l’Homme, oublier l’officier des causes perdues, oublier le passé et le futur, oublier les allégeances, les haines et les amitiés, oublier pour ressentir les éléments, redevenir insignifiant dans le vent , face au temps intransigeant !
…
Voici que reviennent les sensations primaires, l’envie d’uriner, le besoin de mordre, de suer, de me joindre aux loups et de me repaître de chair fraîche, saignante. Je suis l’Animal des Temps de Sauvagerie qui m’ont vu naître. Je ne savais pas qui j’étais, où j’allais, ni lire, ni compter, ni même que l’Humanité existait. JE VEUX VIVRE ! Alors je vais combattre et vaincre un adversaire qui prétend me traquer ! Puis, j’irais au Japon rejoindre Daï Bakemono mon frère d’infortune, lui aussi m’appelle.
…
Voilà ! J’ai atteint le lieu de rendez-vous le premier. J’ai la tête en feu, les scènes de bataille défilent en tous sens dans ma mémoire…
Nous sommes dans une sorte de cirque montagneux traversé par un torrent gelé et sur la pente sud subsiste un reste de forêt de résineux très espacés, une sorte d’enclos dans le lequel les Rouges ont rassemblé leur bétail, tout ce qu’ils ont pu voler aux malheureux moujiks qu’ils sont censés protéger…
Je perçois aussi la présence d’une petite meute de loups attirée par l’odeur. Lui aussi m’a perçu, il arrive… Vite, le corral, ouvrir une brèche à l’opposé et appeler mes frères !
J’EN APPELLE A LA MEUTE, j’en appelle à la Bête, venez mes frères et festoyons !
…
Et maintenant ne plus penser, il perçoit mes pensées, mais dans ce corral au milieu des bêtes qui commencent à s’affoler, il ne peut me percevoir que faiblement, très faiblement car je ne suis plus qu’une âme apeurée au milieu d’autres… Il accourt presque joyeux pour l’hallali. Le voici qui entre à son tour alors que le bétail tente de fuir en tous sens ! Le carnage peut commencer ! Lui-même commence à tuer, agacé par toute cette agitation, afin de progresser à contre-courant sans se soucier des hurlements des bergers qui ne comprennent rien à tout cela. Le sang coule et les bêtes s’affolent encore plus et mes compagnons commencent leur ripaille… Déchiqueter, broyer, égorger, quel bonheur, je laisse un temps couler en moi toute cette férocité ; ainsi je deviens invisible, à l’aune de toute cette sauvagerie. Mmmh, se gorger de sensations primitives, si fortes et l’odeur du sang qui affole mes narines. J’en salive abondamment ! J’ai faim !
Le voilà, il s’est dégagé et me cherche… Trop tard ! Un court instant, le temps s’est arrêté. Je ne suis que néant, je suis dans ton ombre, l’ombre de la bête que j’ai réveillé, l’ombre du loup dont je me suis nourri à l’aube de ma vie !
Et c’est bien une bête, qui bondit dans son dos, sans pensées, sans haine, avec pour volonté le besoin insatiable de se nourrir. Dans un ciel sans nuage, Noir Solitaire a lancé Nuit de Lune ! Le Rédempteur s’est à peine retourné et l’épée a chanté car la lune était haute ! Le son terrifiant de cette lame unique retentit à nouveau ; il a balayé d’une peur insondable tout ce qui portait âme en cette bourgade, oubliée par l’Histoire. Chante ma lame, hante les mémoires et tranche ! Oh oui, tranche et donne moi l’énergie !
De sa tête qui roule, je perçois l’étonnement. Mais l’accélération arrive aussitôt alors que tout semble fuir autour de nous à reculons ! Ah, ça fait mal et c’est bon à la fois…
Seuls les loups surpris dans leur festin, hésitent un instant, avant de reprendre leurs agapes. Avec leur sagesse de simple carnassier, ils savent que le pire fauve est sans danger, s’il est repu. Daï Bakemono, mon ami, je vais pouvoir te rejoindre ! As-tu perçu du plus profond de tes méditations, ce qui vient à l’instant de disparaître ou crains-tu toujours pour ma vie ?
Le bétail s’est enfui, les bergers poursuivent leurs brebis, mais voici qu’accourent les soldats… Je voudrai rester encore un peu, me coucher dans la neige, sentir le froid et l’humidité de la terre, mais je dois m’en aller vite ou sinon gare aux balles qui ne me tueraient point mais c’est désagréable ! Avant de quitter cet endroit misérable, je me penche sur la dépouille de celui que je craignais plus que tout. Ecartant le revers de son uniforme, je tire sur la chaîne d’argent et récupère le trophée qu’il porte toujours au cou depuis les temps anciens alors qu’on l’appelait : KURGAN !
…
Un destin en… trompe l’oeil
Il avait, disait-on, de la vie comme un profond mépris ! Lui, se disait survivant des Terres de Sauvagerie sans que quiconque au Village ne comprenne ce qu’il entendait par là !
C’était un Vieux comme on n’en trouvait guère, comme on n’en trouvait plus en fait… La pollution, les épidémies, une guerre terrible (ne le sont-elles pas toutes ? ) avait eu raison de cette vieillesse dorée qui peuplait les villes autrefois au XXIème siècle.
C’était un Vieux, d’une vieillesse sans âge ! Il les avait tous vus naître et n’en tirait nulle gloire. On le craignait, plus qu’on ne le respectait, ainsi en est-il partout, dans le Monde, qui est vaste, des Puissants !
Puissant, il l’était, d’une puissance sans violence ! Quoique… Un jour, d’un temps désormais révolu, quand il y avait encore en ce pays sans âme une capitale, des soldats, guerriers de la Peur, étaient venus pour emmener les jeunes. Comme cela se faisait alors… Les guerriers étaient soucieux, leurs officiers nerveux… A la nuit, il est sorti défier ceux de la Grande Peur… Il était seul, dit-on, avec une longue épée qui chantait sous la lune. Ils n’ont plus de soucis désormais, leurs corps reposent en paix ou en enfer, sous leurs véhicules d’acier. Les puissantes machines achèvent de rouiller en un lent cortège de carcasses, là-bas, à la décharge, dans l’ancienne carrière.
On dit que… mais on dit tant de choses et lui-même en rajoute parfois. Il dit qu’en ces temps là, sur un signe du guerrier, le scribe baissait la tête et notait ce qu’on lui disait de noter… Qu’importe, il est parti un jour, un soir plutôt ! C’était un soir de grand froid, peu avant la pleine lune. Il est monté là-haut pour y bivouaquer. Quelle drôle idée ?
Je l’avais suivi et m’étais caché en bas dans la décharge. J’ai vu, mes amis, de mes yeux vu… et peut en témoigner : quand la lune fut haute et les braises mourantes, il a brandi soudain son épée vers les cieux. En un lent mouvement puissant, l’a enfoncé profondément dans la roche. Celle-ci pour le coup, s’est mise à trembler, à vibrer, bourdonner, et lui insensible, je l’ai vu s’approcher tout au bord et se laisser glisser dans l’abîme et dans l’ombre… J’ai perçu cela comme une sourde plainte. Son ombre en chutant, rebondissait étrangement de surplombs en corniches. Le Temps semblait… suspendu. Il n’y eut pas de chocs, aucun cri, aucun corps n’a rougi de son sang le parvis de sable fin qui chausse la falaise. Une bise d’hiver s’est levée et les longs mugissements craintifs de ce vent glacial dans les carcasses rouillées m’ont convaincu que tout était fini ! J’ai couru pour rentrer parce qu’en sortant du char où je m’étais caché, j’ai aperçu là-haut à la place encore chaude qu’il venait de quitter, plusieurs silhouettes canines aux yeux de braise qui ont hurlé après moi … Il est parti mais les loups sont revenus !
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Ainsi au Solstice d’hiver, sous une lune pleine comme il les aimait tant, dans le calcaire fin, de cette haute roche, le Noir Solitaire a disparu comme il a traversé les siècles. Discrètement ! Il a peut-être rejoint les 3 sorcières et les frères Earthfire, et Merlin, et Morgane, Arthur et Salaman, Daï Bakemono, Yeun Ar Labousheol, les loups et la licorne, dans ce monde de magie, de légendes où tout est toujours possible. Peut-être a t’il enfin trouvé le Prix et le repos auquel il aspirait ?